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Méthode "FOGUI" de transcription de la langue Yemba

 

Toute notre communauté sait que Fô Nkong-ni Docteur FOGUI Jean-Pierre a publié récemment, aux éditions l'Harmattan, un livre intitulé : L’universalité de la culture : la preuve par les proverbes. Ce livre est un recueil de près de 1 800 proverbes et dictons Yemba avec non seulement leurs équivalents en français et en anglais, mais accompagnés également de leur contrepartie dans d’autres aires culturelles. 

 L'un des grands mérites du livre est que pour écrire la partie en Yemba, l'auteur a inventé une nouvelle méthode de transcription de cette langue dont il convient de saluer à la fois l'originalité et la concision. On sait en effet que l’alphabet Yemba tel que développé par les spécialistes n’est pas encore suffisamment vulgarisé, et pour cause : non seulement il comporte 31 lettres, mais certains signes typographiques qu'il utilise sont inconnus dans l'alphabet français qui nous est familier, et ne se retrouvent donc pas sur le clavier de nos ordinateurs. Si bien que celui qui veut saisir tous ses symboles sur un clavier normal doit d'abord acquérir – et maîtriser… – un logiciel spécifique des langues nationales camerounaises. Or, comme l'a si bien dit Ralph Shallis, « Les gens n’aiment pas ce qu’ils ne comprennent pas » ; et j’ajoute que les gens n’aiment pas non plus avoir à retourner à l’"école"…

L'avantage de la méthode "FOGUI" est qu'elle permet d'éviter ces difficultés puisqu'elle ne comporte aucun signe typographique inconnu des locuteurs francophones et anglophones. Aussi suis-je de ceux, nombreux, qui, depuis la sortie du livre, ont harcelé Fô Nkong-ni pour qu'il mette à la disposition du grand public les fondements de sa méthode qu'il a condensés dans l'introduction de l'ouvrage. Ceux qui sont allés le voir pour cette cause s’attendaient sans doute à ce qu'il leur rappelle le sacro-saint principe de la propriété intellectuelle et qu’il les renvoie, par conséquent, aux différents points de vente du livre (1). Au lieu de cela, Fô Nkong-ni les a (une fois de plus…) surpris en se disant entièrement favorable à l’idée de la publication de l'Introduction de son livre qui comporte un chapitre spécial intitulé Initiation à la prononciation de la langue Yemba.

Dans cette Introduction (que les lecteurs ont intérêt à lire et relire avant d'"attaquer" les proverbes), Fô Nkong-ni Dr FOGUI nous donne la clé de sa méthode et s’en explique : la substance de son message provient de sources qui ne sont pas éternelles (lui non plus d’ailleurs, le temps passant pour tout le monde…). Et avant que ces sources ne tarissent définitivement, nous privant irrémédiablement d’un des trésors les plus précieux de notre culture, il a jugé nécessaire et urgent de consigner dans une œuvre (et quelle œuvre !) la substance de ses recherches. Quitte aux linguistes et autres chercheurs du domaine de la retranscrire plus tard lorsque le Yemba aura été suffisamment vulgarisé. Il s'agit donc, au final, d'une démarche conservatoire qui permet de parer au plus pressé, et qui s'inscrit résolument dans un rapport de complémentarité – et non de concurrence – avec les travaux de codification de la langue Yemba entrepris depuis des années par les chercheurs.

Il convient de saluer la bonne volonté qu’a eue l’auteur de permettre que cet extrait de son œuvre soit gratuitement mis à la disposition du grand public. Comme il le dit lui-même, en sa double qualité de Chef traditionnel et de Président de la Commission "Culture et Traditions" au sein des FOVIBA (Forces Vives Bafou), il a écrit ce livre comme sa contribution à la vulgarisation et au rayonnement de la culture Yemba, et l’importance de cette mission prime sur toute autre considération.

 Découvrez donc dans cet extrait la clé que Fô Nkong-ni nous propose pour accéder au trésor caché dans cette publication, trésor d’autant plus précieux qu’il est authentiquement nôtre ; découvrez la clé qui nous permet d’accéder à la façon dont notre culture voit le monde, et à la manière tantôt poétique, tantôt percutante – mais toujours épicée.. – dont elle le traduit dans le (pro)verbeBonne lecture et surtout, bon apprentissage du Chapitre « Initiation à la prononciation de la langue Yemba ».

Laurent Azambou, Interprète de Conférences/Traducteur.

 

(1) Pour les Élèves et les Étudiants, ce livre est en vente, à un prix subventionné, auprès de MM. Dountsop à Yaoundé (97 88 17 19), Zambou à Dschang (77 51 64 90) et Nguimdoh à Douala (75 69 56 91).

 

 

 

« C'est par notre langue que nous existons (…)

Cette langue transmise par ma mère est mon âme »

(Matoub Lounès).

Introduction

« Le proverbe est l'esprit d'un seul et la sagesse   de tous » (John Russel).

« Le proverbe est le cheval. Quand la parole se perd, c'est par les proverbes qu'on la retrouve » (Amadou Kourouma).

L'idée d'écrire ce livre m'est venue d'un constat amer : celui du recul de nos langues nationales au profit du Français et/ou de l'Anglais. J'ai senti venir le danger depuis longtemps, mais je ne savais pas exactement par quel bout prendre ce problème épineux qui est en fait celui de la sauvegarde de notre héritage culturel.

La situation est plus grave qu'on ne le pense, et ce n'est pas le Directeur Général de l'UNESCO qui me démentirait, lui qui a lancé dès la fin des années 1990 ce pathétique cri d'alarme : si on ne fait pas attention, la moitié des 6 000 langues parlées de par le monde ne franchiront pas le seuil du Troisième Millénaire (1). Malgré cette réalité, j'ai entendu un linguiste camerounais persifler un jour devant un groupe d'élèves à Yaoundé : « que ceux qui parlent de la mort des langues me montrent la tombe dans laquelle on a enterré l'une d'entre elles. » Le pauvre ! On aurait pu lui répondre que l'une de ces tombes se trouve dans l'Etat du Massachusetts où on a enterré, le 15 janvier 1996, Red Thunder Cloud, âgé de 76 ans et dernier locuteur du Catawba, idiome d'une tribu indienne d'Amérique du Nord qu'il était le seul à parler encore (2). Or, une langue n'est pas seulement un "instrument" de communication : elle véhicule nécessairement une cosmogonie, une vision du monde, bref, une culture. Mieux, elle permet à cette culture de "voyager" dans le monde, de "lécher" au passage des rivages inconnus et de se nourrir de milliers de limons arrachés à ces rivages (3). En un mot, la langue est l'instrument par excellence d'épanouissement et de sublimation d'une culture. Stendhal l'a dit peut-être mieux que quiconque : « le premier instrument du génie d'un peuple, c'est sa langue. » (4)

Dès lors, lorsque les experts estiment que 3 000 langues risquent de disparaître au cours du Troisième Millénaire, cela veut dire tout simplement que s'ils ne provoquent pas le sursaut nécessaire, les peuples concernés vont être dépossédés de leur culture. D'où cette mise en garde du linguiste Claude Hagège : « La perte de sa langue, pour tout individu, c'est aussi, en quelque façon, celle d'une partie de son âme. » (5). Et pour le coup, l'Afrique me semble plus exposée que les autres continents, non seulement à cause de notre faiblesse au plan économique, mais aussi à cause de notre propension suicidaire à tourner le dos à nos valeurs au fur et à mesure que nous nous avançons dans la modernité. La situation est si grave aujourd'hui que la majorité des enfants nés en ville ne savent plus parler la langue de leurs parents. C'est ainsi que dans une thèse soutenue en 2005, un universitaire camerounais a révélé par exemple que dans la ville de Yaoundé, 40% d'enfants de plus de 15 ans ont le seul Français comme langue de communication (6). J'ai pris l'exacte mesure de ce désastre le jour où un aîné de la première génération des intellectuels m'a avoué sans sourciller : « Dans cent ans, toutes nos langues maternelles auront disparu ; c'est pour cela que je préfère apprendre le Français à mes enfants, car c'est la langue de la science ».

Tout en étant moins catégoriques, d'autres aînés n'en confessent pas moins leur impuissance lorsqu'ils affirment, toute honte bue : « Mes enfants comprennent quand-même la langue maternelle, même s'ils ne la parlent pas ». Or, comprendre la langue maternelle sans la parler (alors que par ailleurs, ils parlent couramment le Français ou l'Anglais), n'est-ce pas la preuve irréfutable que nos enfants ne sont plus enracinés dans notre humus culturel ? Car, parler une langue, c'est partager le patrimoine culturel dont cette langue est porteuse. A vrai dire, « une communauté humaine n'existe et ne se définit d'abord que par sa langue. » (7). Dès lors, autant on ne saurait se prétendre Français si on ne parle pas la langue de Victor Hugo, autant on ne devrait pas se présenter comme Africain si on ne maîtrise pas sa langue maternelle. D'où cette profession de foi de Cioran : « Ma langue, c'est ma patrie. » (8). D'où, également, cette interpellation d'Alpha Oumar Konaré à l'ouverture du Premier Congrès Culturel Panafricain en 2006 : « Si nous ne préservons pas nos langues, nous ne pourrons jamais préserver notre culture. » (9). Faisant sien l'aphorisme espagnol "Lingua muerta, pueblo muerto" ("langue morte égale peuple mort"), le Professeur Ki Zerbo clot le débat (si tant est qu'il y en avait un…) par cette sentence : « Un peuple qui ne parle pas sa propre langue signe sa mort culturelle. » (10).

A l'ère des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, la langue se présente donc comme le meilleur passeport pour ceux qui veulent tirer le maximum du phénomène de "Mondialisation". On comprendra dès lors pourquoi, dans un monde secoué par la crise économique, un pays comme la France dépense des sommes colossales pour la promotion de la Francophonie, à travers des "instruments" comme Radio France Internationale (RFI), Canal France International (CFI), France 24, l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT), l'Association des Universités partiellement ou entièrement de Langue Française (AUPELF) etc… L'ancien Ministre français des Relations Extérieures, Hubert Védrine, reconnaît d'ailleurs que ces « réseaux culturels, linguistiques et audiovisuels » représentent un grand atout diplomatique pour la France (11).

Autant le dire d'entrée de jeu : le présent livre n'a pas pour ambition d'apprendre à écrire notre langue ; des spécialistes en linguistique ont déjà commencé ce travail ardu et délicat qui exige une expertise certaine (12). Dans les pages qui suivent, je me propose d'apporter une modeste contribution à l'apprentissage de notre langue maternelle, le Yemba :

- en récapitulant les proverbes, dictons et expressions idiomatiques qui véhiculent la sagesse de nos parents ;

- en donnant leur signification (littérale ou approchée) et leur contenu moral et philosophique ;

- en précisant, le cas échéant, leurs équivalents en Français et en Anglais, afin de contribuer à l'expansion du bilinguisme dans un pays comme le Cameroun qui est à la fois membre de la Francophonie et du Commonwealth.

On peut évidemment se demander pourquoi, s'agissant d'une démarche de réappropriation de notre culture, j'ai choisi cette voie et pas une autre. Ma réponse est simple : il est en effet admis, depuis l'antiquité, que l'étude des proverbes est un excellent moyen de bien connaître une langue et les peuples qui l'utilisent. Le Professeur Njoh Mouelle ne dit pas autre chose lorsqu'il définit le proverbe comme « l'énoncé d'un savoir ou d'une connaissance établie empiriquement », et le considère dès lors, dans notre contexte, comme « l'expression du génie créateur de l'Afrique » (13). En constatant par exemple que les deux chapitres les plus fournis du présent recueil de proverbes sont ceux consacrés à l'"Ironie du sort" et au "Réalisme", on peut parfaitement émettre l'hypothèse selon laquelle on a affaire ici à un peuple philosophe et très réaliste ; ce que confirment d'ailleurs les études anthropologiques sur les peuples de l'Ouest-Cameroun. 

En plus –et comme le dit si bien un proverbe chinois–, " lorsqu'on a appris le livre des proverbes, on n'a plus d'efforts à faire pour parler ". C'est ainsi que nos parents avaient une façon bien à eux d'épicer le moindre de leur discours avec des dictons qui donnaient finalement à leurs propos une saveur, une poésie, une "percutance", bref, une force de persuasion qu'ils n'auraient pas eue autrement. C'est ce savoir-faire que j'ai voulu mettre à la disposition de mes frères et sœurs qui n'ont pas grandi au village, et qui n'ont pas eu l'occasion de recevoir, par osmose, ce premier maillon de notre chaîne culturelle.

Parti donc pour dresser un listing thématique des proverbes et leur trouver, le cas échéant, des équivalents en Français et en Anglais, je me suis heurté à une première difficulté : en effet, la plupart de ces dictons sont intraduisibles en Français et en Anglais ; ou plus précisément, lorsqu'on les traduit, ils perdent ou bien leur sens, ou bien leur poésie, ou bien leur "percutance", ou même les trois choses à la fois ! On se rappelle d'ailleurs que de tout temps, l'exercice de traduction est regardé avec beaucoup de méfiance, ainsi qu'en témoignent ces aphorismes célèbres :

- " Tradditore trahitore ", c'est-à-dire " traduire, c'est trahir " (tradition italienne) ;

- « Les traductions sont comme les femmes : belles, elles ne sont pas fidèles ; fidèles, elles ne sont pas belles " (Goëthe) ;

- « Quatre-vingt pour cent des traductions sont exécrables" (Umberto Eco).

Cette première difficulté m'a imposé un pari audacieux : celui de transcrire directement ces proverbes en langue maternelle. Pour ce faire, je n'ai pas utilisé l'alphabet Yemba tel qu'il a été développé par les linguistes, car cet alphabet –qui comporte des signes typographiques inconnus en Français et en Anglais–, n'a pas encore été vulgarisé à grande échelle. J'ai donc essayé de transcrire le patois tel que pourrait le prononcer un locuteur francophone, laissant aux linguistes le soin de réaliser plus tard une version Yemba de ce livre lorsque l'alphabet Yemba sera suffisamment vulgarisé. Ma démarche, qui se veut "conservatoire", vise donc à recueillir et à sécuriser le maximum de proverbes et de dictons, avant la disparition des quelques rares Personnes-ressources qui sont les derniers dépositaires de ces richesses.

La deuxième difficulté est née de ce choix méthodologique : en effet, à l'image du Chinois, la langue Yemba joue énormément avec les intonations ; c'est-à-dire qu'un mot change de sens selon la manière dont on le prononce, comme on le verra dans le prochain chapitre consacré à l'initiation à la prononciation.

J'ai publié une esquisse partielle du présent livre en 1995 sous le titre Plaidoyer pour notre culture. Face au grand succès obtenu en librairie par cette première version, je me suis rendu compte, avec le temps, que j'avais la possibilité –et même le devoir…– d'enrichir ce travail :

- en mettant à la disposition du grand public une version plus complète, aussi bien qualitativement que quantitativement ;

- en illustrant certains proverbes par des citations bien "senties" qui, tels des coups de cymbale à la fin d'une chanson, achèvent de conférer à ces proverbes leur caractère universel ;

- en situant ma démarche, au départ modeste et limitée à ma localité, dans une perspective comparative plus large. Ce redimensionnement de la focale m'a obligé, entre autres, à rechercher les équivalents de nos proverbes non seulement en Français et en Anglais, mais aussi dans les autres aires culturelles et civilisationnelles de par le monde.

C'est ainsi que j'ai été surpris, à l'arrivée, de constater que des communautés humaines situées à des milliers de kilomètres les unes des autres –et n'entretenant aucun rapport–, avaient curieusement forgé, avec le temps, les mêmes proverbes pour décrypter le monde et ses mystères, en utilisant parfois les mêmes mots. Pour ne prendre qu'un seul exemple, je me suis rendu compte que pendant que mes aïeux, du fond de leur savane de l'Ouest-Cameroun, faisaient le constat suivant : e nou tsouk-ou’ ngneung‛, a’ lah-a tchœh-è ndjœo’ nhe-nhong’, e’ kœ kœ‛ (ce qui veut dire : quand quelqu'un a été mordu par un serpent, il fuit même en voyant le mille-pattes), les autres peuples du monde leur répondaient comme en écho :

- " celui qui a fait naufrage tremble devant les flots tranquilles " (proverbe latin)

- " qui a été brûlé par un tison s’enfuit à la vue d’une luciole " (proverbe indien)

- " qui a été mordu par un serpent a peur d’une corde " (proverbe hébreu)

- " qui s’est brûlé avec du lait souffle sur la crème glacée " (proverbe turc)

- " le chien qui a léché des cendres ne se fie plus à la farine " (proverbe italien)

- " celui qui a été mordu par un serpent se méfie d’une chenille " (proverbe algérien)

- " même devenu maigre, l’éléphant n’ose jamais passer sur un pont " (proverbe Mandé du Mali)

- " chat échaudé craind l'eau froide " (proverbe français)

- " he that has been stung by a serpent is afraid of a rope " (proverbe anglais).

Le lecteur découvrira donc, au fil des pages de ce livre, cette étonnante complicité culturelle qui existe entre les peuples, par-delà les frontières, par-delà les continents, par-delà les religions. Et puisqu'une telle complicité ne peut pas (toujours) s'expliquer par le phénomène de contagion par proximité, ne devrait-on pas y voir une preuve supplémentaire de l'existence d'un patrimoine culturel commun à toute l'humanité ? Telle est la problématique portée par ce livre dont l'ambition ultime est de répercuter, à sa manière, le message que le Président Jacques Chirac a lancé à la face du monde, le 20 juin 2006, à l'inauguration du Musée du Quai Branly (dit Musée des Arts Premiers) à Paris : « Il n'existe pas plus de hiérarchie entre les arts et les cultures qu'il n'existe de hiérarchie entre les peuples. C'est d'abord cette conviction, celle de l'égale dignité des cultures du monde, qui fonde le Musée du Quai Branly. » (14). Le Président Abdou Diouf, Secrétaire Général de la Francophonie, est sur la même longueur d'onde lorsqu'il prévient : « L'universalité et la diversité ne sauraient s'affronter, tant elles sont vouées à se nourrir, à s'alimenter, à s'enrichir l'une l'autre. » (15)

 

 

(2) Koïchiro Matsuura, cité in Jeune Afrique l'Intelligent n° 2074 du 10 au 16 octobre 2000, page 12.

Voir l'article "Une langue vient de mourir" in Jeune Afrique n° 1830 du 31 janvier au 6 février 1996, page 19.

(3) Voir, à titre d'illustration, l'éclatante exubérance du Français et de l'Anglais dans les ex-colonies françaises et britanniques.

(4) Cité in Jeune Afrique l'Intelligent n° 2344 du 11 au 17 décembre 2005, page 4.

(5) In Combat pour le Français : au nom de la diversité des langues et des cultures, éditions Odile Jacob, Paris, 2005.

(6) Cf. Cameroon Tribune du 2 février 2006, page 11.

(7) Jean-Louis Curtis, discours de réception à l'Académie Française, in Le Monde des 28 et 29 juin 1987, page 9.

(8) Cité in Le Nouvel Observateur du 1er juillet 1999, page 29.

(9) Cité in Le Messager n° 2254 du 15 novembre 2006, page 3.

(10) Cité par Radio France Internationale le 31 août 2004 à 14 heures 22 minutes.

(11) In Rapport pour le Président de la République sur la France et la mondialisation, éditions Fayart, Paris, 2007, pages 31-32.

(12) Après les premières tentatives faites par les pionniers qu'étaient MM. Djoumessi Mathias et Momo Grégoire, le flambeau a été repris par des universitaires comme Maurice Tadadjeu, Gretchen Harro, Nancy Haynes et Jean-Claude Ngnintedem. Les trois derniers cités ont publié un Manuel pour lire et écrire la langue Yemba (Société Internationale de Linguistique, Yaoundé, 1994,108 pages).

(13) In Jalons II : l'africanisme aujourd'hui, éditions CLE, deuxième édition, 2006, pages 60-61.

(14) Cité par Serge Raffy in La guerre des trois, Fayard, 2006, page 247.

 (15) Cité in Mutations n° 2294 du 3 décembre 2008, page 14.

 

 

 


INITIATION À LA PRONONCIATION DE LA LANGUE Yemba

« La voie la plus courte pour aller vers l'avenir passe par l'approfondissement du passé » (Aimé Césaire).

Comme je l'ai dit à l'introduction, la langue Yemba joue beaucoup avec les intonations. La vulgarisation de l'outil informatique permet désormais de donner des indications sur les différentes intonations, en utilisant les signes typographiques suivants à la fin des mots : le guillemet anglais simple fermant () (1) (ou l'apostrophe lorsqu'on écrit à la main) pour le ton haut ; le guillemet anglais simple ouvrant () (2) (ou l'accent grave lorsqu'on écrit à la main) pour le ton bas (il doit être placé juste après le mot, sans espacement). L'absence d'un de ces deux signes est une indication que le ton est moyen. C'est cette règle qui permettra de faire la différence entre le ton bas (e‛ ndoou‛ = le haut), le ton moyen (e ndoou = le mâle), le ton haut (e’ ndoou’ = mordre), et la combinaison des tons haut et moyen (e’ ndoou = faire chaud). Autres exemples : le ton moyen (e mbâ = haïr), le ton haut (e’ mbâ’ = se méfier), et le ton bas (e‘ mbâ‛ = le village) ; le ton haut (e’ mbeu’ = interdire), le ton moyen (e mbeu = le beurre ou les cauris) et le ton bas (e‛ mbeu‛ = le corps).

Il y a quelques rares cas compliqués où ces deux signes typographiques sont placés l'un à côté de l'autre, tout simplement parce que le ton descend à la fin du mot avant de remonter aussi tôt. Exemple : a voung‛’ (la partie molle qui se trouve à l'intérieur de la tige de bambou) ; lesseung‘’ (sortes de petits coléoptères).

C'est toujours grâce à ces accents qu'une phrase comme celle-ci peut avoir du sens : Ngneung‛ ngneung-hè’ ngneung‛ ngneung‛, qui veut dire littéralement : la personne de quelqu’un est sa personne (moralité : quand on fait confiance à quelqu’un, il faut le faire franchement, et il faut que la personne investie de cette confiance fasse tout pour la mériter vraiment). C'est enfin grâce à ces accents qu'on peut décrypter le sens des mots dans une longue phrase, surtout en face du phénomène bien connu de l'allitératoin. Exemple :

Jœo tsetseung-hè mô wouo le’ hho ntseung’, e ndok-o ntseung‛ ntseung-hè’ ntseung-hè nguia zeug’, tè me’ toung-tè hi’, a’ lok ntseung-ne ngo’ ntseung-hè nkah’, e ntseung-nè nè miya’ ntseung-hè-piya’, me’ toou me ntseung-hè-loung’, po’ hho ntseung-tè jou-o moh’ ndok chœh’ ntseung-hè’ ntseung-hè tetâ’ (veut dire à peu près : regarde-moi cette idiote [de fille] qui est allée en ville souiller la réputation de notre famile avec son sexe ; et quand on lui a demandé de s’expliquer, elle est allée avec la colère se pendre sur un grand avocatier en bas du champ ; on a envoyé les ténors de la réunion dégager les bêtises pour venir accrocher ça en bas de la cour).

En dehors des accents, plusieurs sons posent de sérieux problèmes en Yemba, ainsi que le montrent les exemples suivants :

- le son doux et le son bloqué à la fin des mots : le son est doux lorsque le mot se termine par une voyelle, ainsi que nous l'avons vu dans les exemples précédents. C'est la lettre h qui permet de bloquer les sons lorsqu'elle est placée à la fin du mot et qu'elle est précédée d'une voyelle. C'est ce qui permet de faire la distinction entre e ntou (entonner une chanson) et e’ ntouh’ (puiser), à ne pas confondre avec e‛ ntouh (la calebasse). Autres exemples : e’ mbâ’ (haïr) et e mbah (dégager), à ne pas confondre avec e‛ mbah‛ (la brousse), et e’ mbah’ (tisser ; par exemple : tisser un panier ou une corde) ; e‘ nkèh-è‘ (écl     airer) et e’ nkèh-è’ (détacher).

- les sons mélangés : on peut mélanger les sons soit en écrasant les voyelles o et e, auquel cas on utilise le signe typographique œ bien connu en Français (exemples : e ndœè = l'adulte ; à ne pas confondre avec e‛ ndœ‛ = la liane, ou e‛ ndeu‛ = le vampire, l'anthropophage) ; soit en mélangeant les sons o et ou (exemples : e koou’ = le lit ; e ndoou’ = le mâle ; e ntoou’ = le pont) ; soit encore en mélangeant les sons de plusieurs consonnes, notamment p et f (exemple : e‘ pfoouk’ = le veuvage ; le‘ pfouh‛ = le mortier). On peut aussi mélanger m, p et f (exemples : e‛ mpfoouk’ = la veuve ; e’ mpfèt’ = manger) ;

- les sons traînants : nous utiliserons pour les sons trainants soit l'accent circonflexe pour éviter de doubler les voyelles comme on le fait traditionnellement (exemples : e Fô = le Chef, au lieu de e Fo’o ; e sâ’ = le marché, au lieu de e sa’a’) ; soit la combinaison i et y lorsque le son i est prononcé avec emphase (exemples : e mbiyang = les arachides ; e‛ nguiya‛ = la distance, à ne pas confondre avec e nguia = donner et e‛ nguia’ = la maison ; e nkiya = tracer, à ne pas confondre avec e’ kiya’ = exiger (le remboursement d'une dette par exemple), ou encore avec e’ nkia’ = piquer (en parlant du piment par exemple) ; tsitsiya‛ = la souris, à ne pas confondre avec tsitsia = le Maître d'école) ;

- le son gutturo-nasal : c'est l'un des sons les plus difficiles à transcrire, parce qu'il se prononce à la fois avec la gorge et le nez. C'est donc un son qui se situe à mi-chemin entre n et h, mais qui n'est ni le n (parce que la langue ne touche pas le palais), ni le h (parce qu'il n'y a aucun effet de souffle qu'on entend très souvent dans la prononciation de la lettre h). Exemples : e nhak = juger ; e nhoh-ne = être courbé ; e‛ nhwah’ = les abeilles (ou le miel) ; e nhwang-ne = briller ;

- les sons soufflés (effet de souffle au début du mot) : c'est naturellement la lettre h qui permet de transcrire les différents sons soufflés. Lorsque cette lettre est placée au début du mot, elle se prononce comme en Français. Exemples : hi’ = lui (ici, la lettre h se prononce comme dans holà). Par contre, on double la lettre h lorsque l'effet de souffle est plus prononcé et, à ce moment, on le prononce comme le h anglais (he, his, Henry), ou ch en Allemand ; ou encore comme la combinaison kh en Arabe (Khadafi ; Khomeiny). Exemples : a hhag’ = la gorge ; a‛ hhô = la maladie) ;

- les sons soufflés (effet de souffle au milieu ou à la fin du mot) : c'est toujours la lettre h qui permet de rendre cet effet de souffle, mais cette fois-ci, elle doit être doublée. Exemples : e‛ nguihh‛ = la voix ; e nguihh = donner à manger à un visiteur ; e nguihh’ (la fumée) ; e’ nguihh’ (voler en parlant de l'oiseau ou de l'avion), à ne pas confondre avec e’ nguuihh’ = être amer (il y a ici deux u qui se prononcent dès lors comme ü en Allemand) ; e‛ ndzèhh‛ (la route), à ne pas confondre avec e’ ndzèhh’ (savoir, connaître) ; a‛ foouhh‛ = le remède ou la feuille, à ne pas confondre avec e foouhh’ = le pus ; a‛ hhœhhœhh‛ = l'imbécile (ou l'idiot) ; e’ ndœhh’ = lutter, à ne pas confondre avec e‛ ndœhh‛ = la limite ; à ne pas confondre également avec e‛ ndœh‛ = le tamtam (ici il y a un seul h). Autre exemple : koukouhh‛ = le voyou, à ne pas confondre avec kou’kouhh‛ = la chique ; ou encore e nkoukouh‛ = la canne à sucre (avec un seul h).

De toute façon, tout est une question d’habitude. Car en Français par exemple, on prononce "pâte" comme si c'était un "a" court, sans accent circonflexe, alors qu’on prononce par contre "table" en traînant sur la lettre "a" comme si elle avait un accent circonflexe. Beaucoup d'autres curiosités de prononciation peuvent déconcerter ceux qui apprennent cette langue : on dit par exemple subsistance (zis), mais subquent () ; transit (zit), mais transi (si) ; transistor (sis), mais transiger (zi). Plus étrange encore : combien de gens savent que le mot désuétude, écrit avec un seul "s" intercalé entre deux voyelles, doit se lire "déssuétude" ? Tout comme le mot gageure, écrit avec "eu", doit plutôt se lire "gajure" ! Enfin, aucun locuteur francophone ne trouve bizarre le fait que pour former le pluriel du mot bonhomme, on soit obligé de déstructurer complètement ce mot, puis de le restructurer selon une logique qui oblige à ajouter non pas un "s", mais deux (pour ceux qui l'auraient oublié, le pluriel de bonhomme c'est… bonshommes ! ! !).

Même la langue de Shakespeare –dont les spécialistes louent pourtant la facilité d'apprentissage…–, comporte aussi beaucoup de curiosités de prononciation. C'est ainsi que la lettre "y" se prononce tantôt "aï " (comme dans reply, supply), tantôt comme un simple "i" (comme dans assembly, country etc). Le "lieutenant", qui s'écrie de la même façon dans les deux langues, se prononce curieusement en Anglais "leftenent" ! Même chose pour "colonel" qui s'écrit de la même façon dans les deux langues, mais se prononce "keulnel" en Anglais. De même qu'en Français les lettres f et p ne se prononcent pas dans les mots "nerf" et "baptême", de même, en Anglais, les lettres b et r ne se prononcent pas dans les mots "debt", "bomb" et "iron" (on dit "aïen" !).

Une autre difficulté de la langue Yemba qu'on va constamment rencontrer dans les proverbes est la formation du pluriel des mots. La règle de base est que le pluriel se forme par le préfixe "me". Exemples : moh-o(le père) ; me moh-o’ (les pères). E nguia’ (la maison) ; me nguia’ (les maisons). Mais cette règle comporte beaucoup d'exceptions. Exemples : me-ndju’ (la femme), a pour pluriel wo-ndju’ (les femmes) ; tout comme meung-nkœhh (l'enfant) a pour pluriel e wo-nkœhh (les enfants). Autre exemple : a zou’ (la chose), a pour pluriel e tsou’ (les choses).

 J'invite les lecteurs Yemba à ne pas se décourager face aux difficultés qu'ils vont éprouver en abordant pour la première fois cette nouvelle méthode de transcription. Car ces difficultés vont s'atténuer au fur et à mesure qu'ils vont faire des efforts pour se réapproprier ces proverbes qui sont le socle de leur culture. Je leur recommande notamment de lire d'abord la traduction française avant de revenir au patois. Pour que la version française soit aussi proche que possible du patois, j'ai été parfois obligé d'écorcher la langue de Molière, notamment lorsqu'il s'est agi de décliner la signification littérale des proverbes. Je sollicite donc l'indulgence des puristes pour certaines lourdeurs syntaxiques et pour certaines expressions typiquement "locales" : c'était le prix à payer pour rendre nos proverbes intelligibles et les mettre à la portée de tous, certes, mais tout en essayant de ne pas les dépouiller complètement de toute touche locale qui fait justement leur fraîcheur...

Il m'est arrivé enfin de citer les "sources" de certains proverbes. Je précise qu'il ne s'agit pas des gens qui ont inventé ces proverbes, mais de ceux dans la bouche de qui je les ai entendus au moment où j'étais dans mon travail de "collecte". Puisque rien me m'y obligeait, on pourrait naturellement y voir un clin d'œil de courtoisie fait à ces Personnes-ressources qui, à leur insu, ont participé à mes recherches ; mais j'ai voulu aussi et surtout montrer que pour faire ce genre de recherches, on n'a pas besoin de fréquenter assidûment les bibliothèques, à la recherche improbable d'une bibliographie qui n'existe d'ailleurs pas : il suffit parfois d'être curieux et d'avoir une mémoire exercée pour récolter, dans les conversations de la vie courante, tout le matériau nécessaire. Car, comme le disait si bien le poète allemand Johan Wolfgang Goëthe, « pourquoi chercher le bonheur si loin quand il est si proche ? »

*

*    *

Voici donc et tout à fait malgré son auteur…, un livre écrit en trois langues. La chose est suffisamment rare en elle-même pour ne pas susciter d'emblée la curiosité. Mais par-delà cet aspect "gadget" qui risque de polariser les attentions, comment ne pas se rendre à l'évidence qu'il s'agit d'un pas significatif dans la bataille que nous devons livrer pour la survie de notre culture ? Il ne s'agit certes pas d'un pas décisif, mais je pense, à l'instar de Monseigneur De Courtray, qu'« il vaut mieux allumer une petite bougie que maudire l'obscurité ».

S'il est vrai que ma petite bougie ne va pas vaincre toute seule les ténèbres de l'aliénation culturelle dans lesquelles nous nous prélassons avec tant de sadomasochisme, il est tout aussi vrai que des centaines et des milliers de bougies pourraient faire reculer ces ténèbres ; à la seule condition que chacun d'entre nous prenne conscience du danger de mort (culturelle) qui nous guette en tant que peuple, et se résolve à allumer sa petite bougie. J'invite ceux qui en doutent à méditer ces belles paroles de Mère Térésa : « Nous avons le sentiment que ce que nous faisons est une goutte d'eau dans l'océan. Mais cet océan ne serait pas ce qu'il est sans cette goutte d'eau.»

 

(1) Numéro de code : 2019

(2) Numéro de code : 2018

 

                                                                                                              Dr Jean-Pierre FOGUI

 

 

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